Qu'est-ce que l'écologie mentale?
Les lois de la croissance biologique appliquées à la culture, à l'apprentissage, à l'histoire des idées… Biologiste de formation, Gregory
Bateson (1904-1980) est l’un des grands anthropologues du XXème siècle, dont le paradigme systémique a marqué l’ensemble des sciences du comportement.
Son œuvre de jeunesse Naven (1936), consacrée à une tribu de chasseurs de tête en Nouvelle Guinée, inaugure une technique de description (dite « ethnographique »*),
pratiquée par les anthropologues jusqu’à ce jour. Mais Bateson ne s’est pas arrêté là. Dès 1942 aux Etats-Unis, il est l’un des initiateurs du grand mouvement intellectuel de la cybernétique*, qui débouchera sur l’invention des ordinateurs. Il s’aventure ensuite dans les domaines de la psychiatrie, la thérapie familiale et la psychologie de l’apprentissage.
Précurseur de la prise de conscience écologique vers la fin de sa vie, Bateson expliquait son mode de pensée original à travers l’expression ecology of mind (aussi traduite par « écologie de l’esprit »*), qui reste attachée à son héritage intellectuel.
Mais Gregory Bateson n’est pas un penseur du « choc des civilisations ». Il reste un homme de la Guerre Froide, décédé à l’aube de la révolution iranienne, avant l’irruption de l’islam politique sur la scène géopolitique mondiale. Par ailleurs, l’oeuvre de Bateson a eu aussi des effets indésirables, liés à son appropriation sauvage par le marché du « développement personnel », ou les mouvements du New Age californien.
Certaines évolutions de l’islamisme contemporain relèvent de la même dérive. Comment les critiquer, sans tomber pour autant dans la pensée conservatrice et l’« islamophobie » primaire ? En oeuvrant à une compréhension batesonienne de la théologie musulmane, et réciproquement, à une réception critique musulmane de son œuvre. Dans cette double démarche résident des ressources décisives pour reposer les défis de notre temps.
Qu’est-ce que je propose?
« Le problème, c’est la solution », disait Paul Watzlawick - l’un des disciples de Bateson, assez connu dans le domaine des thérapies brèves. Dans certaines situations, le problème d’origine est aggravé par les nombreuses « tentatives de solution » mises en œuvres par le patient, par le ou les personnes considérées comme porteuses du problème. Et finalement, ce sont ces « solutions » qui rendent le problème insoluble…
Pour pointer ce phénomène dans le domaine qui est le mien, j’ai pris l’habitude de l’appeler « anthropologie de l’islam », avec un peu d’ironie. À mes yeux, il y a des manières beaucoup plus intéressantes de faire de l’anthropologie, aussi des manières beaucoup plus intéressantes d’être musulman, que de tomber dans les ornières de l’anthropologie de l’islam.
Un double déplacement s’opère alors (comme toujours dans l’approche écosystémique) :
- le problème ne se situe pas dans l’islam ;
- il ne se situe pas non plus dans l’anthropologie, dans le regard porté sur l'islam ;
- le problème se situe plutôt dans la relation entre les deux.
À travers l’expression « anthropologie de l’islam », je pointe en fait une relation entre islam et sciences sociales : une modalité particulière de ce lien, qui caractérise notre époque. Je pointe un fait social total*, étroitement lié à l’ordre international instauré en 1945*, mais devenu aujourd’hui gravement dysfonctionnel.
Aborder les choses par l’anthropologie de l’islam peut-être très utile, mais il ne faut pas se mentir : cela amène aussi beaucoup de remises en question. Le fait de poser le problème à cet endroit - dans la relation plutôt que dans l’un ou l’autre des deux termes - est déstabilisant pour tout le monde. Pour les non-musulmans comme pour les musulmans eux-mêmes (et les personnes d’autres confessions), cette approche attaque frontalement ce que chacun pense savoir du monde, ce que chacun pense savoir de sa propre religion, la posture qu’il ou elle adopte dans sa vie personnelle, etc..
Aussi, en découdre avec l’anthropologie de l’islam n’a vraiment de sens que de manière ponctuelle : dans un lieu, lors d’une rencontre, aux prises avec un problème particulier.
L’intervention consistera à poser un cadre, permettant de nommer autrement le problème qui vous occupe - en tant qu’il relèverait de cette pathologie plus large, caractéristique de notre époque. Je commencerai par présenter brièvement mon propre parcours, ma propre expérience du problème (mon site est fait pour anticiper votre curiosité). Et si vous rentrez à votre tour dans cette logique, si vous m’aidez à comprendre en quoi votre problème relève bien de l’anthropologie de l’islam, alors je pourrai vous apporter des éléments d’ordres divers - anthropologiques, historiques, psychologiques voire théologiques - qui vous aideront à préciser votre intuition, à cheminer collectivement vers une formulation acceptable par tous.
Le critère de notre réussite sera la laïcité - c’est-à-dire, au fond, une forme renouvelée de neutralité intellectuelle. Un idéal que notre pays recherche, dans un monde qui ne le comprend pas toujours. Indirectement, vous contribuerez peut-être à aider l’islam, et à aider l’anthropologie…
Qui je suis?
1) Ancien élève de l’École Normale Supérieure en physique et en sciences sociales.
Né en 1980, après une enfance en région parisienne, j’ai commencé à apprendre l'arabe avec un camarade étranger dans la classe préparatoire scientifique d’un grand lycée parisien. Entré à l’ENS en 2000, j'intègre le cours d'arabe, fréquente toutes sortes d’arabisants en herbe, et découvre le Yémen en juillet 2001. Je décide à l'automne suivant de réorienter mes études, avec l’accord de la direction de l’Ecole.
2) Prix Michel Seurat du CNRS en 2009
Mon enquête représente 24 mois d’immersion dans la société yéménite entre 2003 et 2010, essentiellement à Taez, la troisième ville du pays. Mon travail portait sur les mutations sociales et l’évolution du sens de l’honneur, appréhendé par les pratiques de la sociabilité masculine, en particulier leur dimension « genrée » : féminisation de l’interlocuteur, vulgarité et boutades « homoérotiques » (voir résumé). Mais en 2011, l’irruption du Printemps Arabe dans cette ville change la donne. Mes convictions m'obligent à abandonner ce travail en 2013, laissant le Yémen aller vers son destin.
3) DU laïcité (« Religions et société démocratique ») en 2017, à la faculté de droit de Montpellier.
Installé pendant huit ans dans la petite ville de Sète (2014-2022), je tente de convertir cette expérience sur le terrain du travail social et de la laïcité. Ça ne marche pas, mais je développe ainsi une connaissance intime des différents acteurs d’une situation sociale particulière. Je poursuis par ailleurs mes recherches personnelles sur l’histoire des idées et les racines médiévales de notre civilisation. À travers le site je développe des analyses originales, prolongeant la démarche batesonienne vers l'étude des monothéismes, leur différenciation réciproque au cours de l’Histoire, et leur interconnexion étroite dans le monde contemporain.