(teaser)
Le monde propre du Bernard-l'ermite
Le Bernard-l’ermite, c’est l’Europe occidentale dans
son rapport à la philosophie.
Peu après l’An Mille, la Chrétienté latine a tenu à se mettre sur la
tête Aristote : une coquille abandonnée encore mille ans plus
tôt, par un gastéropode hellénophone dénudé par le christianisme
orthodoxe. Coquille écrasée par l’Histoire, et remembrée entre temps,
par les bons soins d’une érudition d’expression arabe. Mais même ainsi
restaurée, la coquille redécouverte par le crabe était une coquille
vide, délaissée depuis longtemps par le gastéropode qui l'avait fait
grandir avec lui.
De ce fait, l'Europe a toujours eu un
problème de croissance, dans son rapport à
ses propres institutions…
Que s’est-il donc passé, dans ce geste fondateur de l’identité
européenne ? Quel rôle ont joué les espèces voisines, notamment
l’islam - représenté ici par l’anémone de mer ? Questions
anciennes mais décisives, brûlantes, que même les médiévistes ne
savent pas toujours gérer(*). En quoi
l’anthropologie du monde contemporain peut-elle aussi contribuer à les
appréhender ? Et la biologie comportementale, à travers la notion
de « monde propre » (voir ci-dessous)?
« Polyphonie des mondes propres selon Jacob Von Uexküll »
(Extrait d’une thèse de Jean-Luc Gallo, publié dans Zouila 6, hiver 1999-2000, p. 11).{"Un être vivant est un sujet qui vit dans son monde propre (Umwelt) et dont il constitue le centre; non une machine, mais son mécanicien."} (…) Pour illustrer cette idée, Von Uexküll (1864-1944) propose le très bon exemple du bernard-l’ermite.
De petites anémones de mer s’incrustent fréquemment sur la coquille parasitée par ce crabe, elles lui sont d’ailleurs utiles pour le préserver de la prédation des seiches. On expérimente trois situations au cours desquelles le crabe est confronté à une anémone.
Dans la première, les anémones que porte le crabe lui sont retirées : mis alors en présence d’une anémone, le crabe la saisit et la fixe sur sa coquille.
Dans le seconde, c’est la coquille qui lui est retirée : le crabe tente alors de se glisser à l’intérieur de l’anémone.
Dans la troisième, il a subit un jeûne prolongé : il commence alors à la manger. Nous sommes alors tenté d’interpréter : successivement, le crabe a donné à la même perception trois « significations » différentes : protection, habitat, nourriture. Ceci en fonction de dispositions à l’action provoquées par une mise-en-situation.
Ainsi, pour Von Uexküll, image perceptive et image active s’entremêlent étroitement, tout objet perçu dans le monde propre de l’animal est en même temps un support d’action : {“Un animal distingue autant d’objets dans son monde propre qu’il peut y accomplir d’actions”}.
> « Une anthropologie
batesonienne du fait culturel monothéiste »
> « Décrire le
monothéisme comme un organisme : implications
philosophiques »
(*) Voir la polémique, dans les
premières années du quinquennat Sarkozy, autour de Sylvain Gouguenheim
et de son livre Aristote
au Mont Saint Michel. J'écrivais à ce propos :
«…Pendant ce temps, les vieux chercheurs du baby-boom se
gargarisent de leur bienveillance à l'égard des “jeunes”, et les
médiévistes s'érigent en gardiens de la mémoire d'une transmission
arabe d'Aristote - quitte à rouer le pauvre moine Gouguenheim de
mille coups de bâtons…».
Sur mon blog Médiapart, on trouvera différents textes plus ou moins
digestes, témoignant de mes tâtonnements vers l'approche écosystémique
de l’histoire monothéiste, qui est la mienne aujourd’hui : « Al-Lât,
divinité protectrice de l'État Français » (billet de blog
du 7 décembre 2015) ; « Maroc
médiéval au Louvre : la bombe n'a pas explosé »
(billet de janvier 2015, juste avant les attentats de Charlie) ; « Violence
de l’esclavage, violence de la vérité » (texte plus long,
rédigé en mai 2018).