Recherche :
Une anthropologie batesonienne du fait culturel monothéiste
Qu’est-ce que c’est ?
D’où vient l’idée ?
Comment contribuer ?
Qu’est-ce que c’est ?
…fait culturel monothéiste…
Parler de fait culturel monothéiste, c’est d’abord poser un objet, donc signifier une approche scientifique, rationnelle, et non-confessionnelle.
C’est ensuite délimiter une échelle pertinente - le monothéisme - pour une analyse en termes de culture. Car l’approche culturaliste est abusive à bien des égards, lorsqu’on l’applique à des sous-ensembles : il n’y a pas de « fait culturel » chrétien indépendamment du judaïsme ; pas de culture « judéo-chrétienne » indépendamment de l’islam ; et donc pas de « culture musulmane » (même si les mouvements nationalistes depuis deux siècles ont mis le concept à la mode). Pour que nos sociétés retrouvent un juste rapport au monde, aux cultures non-monothéistes et à la Terre elle-même, nous devons retrouver le sens de cette interdépendance.
…anthropologie…
L’approche anthropologique se distingue par une certaine inventivité dans la combinaison des échelles micro et macro. Être anthropologue, c’est étudier l’expérience la plus intime d’une culture, tout en prenant en compte des paramètres sociaux ou historiques de très longue portée. Une anthropologie du monothéisme aborde donc les faits « macro » liés aux religions du livre (d’ordre géopolitique, sociologique, démographique, l’analyse d’évènements historiques…) pour les relier aux fondamentaux communs du monothéisme (un Dieu unique, créateur, omniscient et omnipotent) et à l’expérience ordinaire du croyant (le péché, la grâce, la providence, etc.).
…batesonienne…
L’anthropologie batesonienne est une anthropologie branchée sur la biologie du XIXème siècle et sur la cybernétique du XXIème. Car si Gregory Bateson (1904-1980) est l’un des grands anthropologues du XXème siècle, membre fondateur des fameuses conférences Macy sur la cybernétique (1942-1953) puis de l’Ecole de Palo Alto (psychologie de l’apprentissage, systémique familiale…), il est aussi et d’abord le fils de William Bateson (1861-1926). Grand biologiste de Cambridge, défenseur des travaux sur l’hérédité menés par le moine autrichien Gregor Mendel (1822-1884 - d’où le prénom Gregory donné à son troisième fils…), Bateson-père a été l’introducteur du terme « génétique », bien avant que les « gènes » ne soient découverts et nommés…
Face à la complexité ordonnée du monde vivant, l’analyse batesonienne se concentre sur des structures dynamiques - ce que plus tard on a appelé les fractales : la structure en tant qu’elle permet la croissance (différenciation des organes, différenciation des espèces au cours de l’Evolution, etc.). Gregory Bateson a transposé cette démarche de la biologie vers le domaine du comportement (apprentissage, schizophrénie, esthétique…), marquant profondément les sciences sociales de son temps (les configurations de Norbert Elias, les rites d’interaction d’Erving Goffman, et d’une manière générale l’ethnographie au sens moderne).
Mais Gregory Bateson reste un homme de la Guerre Froide, disparu à l’aube de la révolution iranienne. Aujourd’hui l’irruption du religieux, dans l’espace public de toutes les sociétés occidentales, parasite la mobilisation face aux enjeux réels de notre temps, notamment climatiques, sans que nous soyons à même d’articuler pensée écologique et pensée de la laïcité. D’où l’extension de la démarche batesonienne à l’étude raisonnée du monothéisme, qui semble plus que jamais nécessaire.
D’où vient l’idée ?
En 2003, je partais au Yémen pour y mener mon premier terrain, dans une démarche de sciences sociales généralistes. C’était l’époque où la France menait l’opposition à la Guerre d’Irak, par la voix de Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères du Président Chirac. J’avais choisi la ville de Taez, réputée Capitale de l’éducation, car j’entendais pratiquer une anthropologie symétrique et réflexive, non-culturaliste - en un mot une anthropologie laïque - au lieu d’enfermer les gens dans une supposée « culture musulmane » (voir mes premières publications). Quatre ans plus tard, à peu près vers l’élection de Nicolas Sarkozy, je me retrouvais moi-même converti à l’islam (à titre privé), tandis que mon principal interlocuteur présentait des symptômes de schizophrénie, et se disait convaincu par le christianisme.
Déjà à l’époque, pour démêler cette situation ethnographique, je trouvais en Gregory Bateson un appui intellectuel inespéré ; en 2009, je recevais l’encouragement du Prix Michel Seurat du CNRS, grâce au soutien de ma directrice Jocelyne Dakhlia (EHESS) et de Florence Weber (directrice du Département de Sciences Sociales de l’ENS). Mais le chantier était titanesque, débouchait sur des questions philosophiques abyssales, surtout pour un scientifique de formation. Je n’avais toujours pas bouclé ma thèse en 2011, quand la vague des Printemps Arabes fit irruption. Taez, la ville dont j’étais spécialiste, se retrouvait soudain au premier plan, mais mes analyses ne répondaient plus aux attentes : dès lors que l’histoire s’était remise en marche, les sciences sociales sortaient renforcées dans leurs certitudes, et l’heure n’était plus à la réflexivité.
Ayant finalement dû renoncer à ma thèse, et à la carrière académique pour un temps au moins, j’ai déménagé à Sète en février 2014, afin de prendre un nouveau départ. En marge des tâtonnements de ma reconversion professionnelle, je me suis emparé des questions d’intérêt général, et j’ai tenté de me reconstruire une culture d’honnête homme - notamment sur le rôle respectif du monothéisme et des mathématiques dans l’histoire des idées scientifiques, question indispensable pour repenser la laïcité aujourd’hui, mais aussi les enjeux pédagogiques ou environnementaux.
Souvent on m’a demandé d’écrire un roman - comme si c’était possible, quand une ville s’effondre, de faire de la littérature. On a disséqué mon « problème d’écriture », on m’a psychanalysé, on m’a reproché finalement de ne pas lâcher prise. Toujours en contact avec le Yémen malgré la guerre, et face à ce déni qu’on m’a toujours opposé, je tente depuis Sète de construire un projet scientifique alternatif. Sur mon site personnel (vincentplanel.fr), j’en raconte bien assez de mon histoire au Yémen, de mes interlocuteurs et de cette thèse avortée. Le site orient-laicite.fr, pour aller de l’avant, rassemble des propositions opérationnelles pour la société française.
Comment contribuer ?
Face à l’inertie des expertises et des paradigmes institutionnels, mon projet anthropologique ne pourra s’imposer qu’en suscitant l’intérêt d’un public varié : scientifiques, publics confessionnels, professionnels laïques, acteurs associatifs. Tous peuvent avoir intérêt à repenser les fondements monothéistes de nos sociétés, en intégrant des angles-morts devenus criants.
Mais la recréation d’un écosystème monothéiste implique de rompre avec un certain confort, intellectuel et moral, associé à l’ère post-coloniale. Que ce soit dans le « dialogue inter-religieux » ou dans le « dialogue science-religion » (qui s’y rattache bien souvent), chacun veut rester maître en sa maison : l’orateur autorisé parle à ses propres ouailles, en même temps qu’il s’adresse à l’hôte étranger ; finalement, tout est fait pour que chacun reste chez soi, dans sa « culture » religieuse - un peu comme dans le théâtre des relations internationales, entre Etats-Nations formellement indépendants. Combinez les non-dits du « dialogue inter-religieux » dans les pays du Nord, à ceux de la « recherche scientifique » sur les pays du Sud, et vous obtenez l’impasse actuelle.
Légitime dans la sphère religieuse, l’inscription dans une tradition confessionnelle cesse de l’être dans la sphère universitaire. Bien sûr, une vision du monde confessionnalisée m’aurait certainement épargné le « pétrin » dans lequel je me suis plongé au Yémen, mais les démarches scientifiques sont faites pour traverser les frontières. Or la France post-coloniale, minée par la stratification éducative et le conformisme institutionnel, s’arque-boute sur une laïcité qu’elle ne comprend plus.
Le pari de cette anthropologie batesonienne du fait culturel monothéiste, et du site orient-laicite.fr, c’est que chaque « confession » puisse y trouver son compte, y reconstituer son « monde propre » (Umwelt), et envisager d’interagir sur d’autres bases avec les espèces voisines. En ayant recours à mes formations, vous contribuez à l’émergence dans la société française de cet écosystème renouvelé.